"Huit fois debout"... une comédie douce amère
Xabi Molia et Julie Gayet... Sept fois à terre, Huit fois debout !
©Damien Perrichon
Le cinéaste bayonnais Xabi Molia est venu présenter en avant-première au cinéma Le Select à Saint-Jean-de-Luz, son premier long métrage "Huit fois debout", accompagné de sa principale actrice Julie Gayet, délicieusement pudique et galvanisée. Moment récréatif autour du décryptage d'une comédie douce amère, ou une peinture touchante d'une réalité sociale.
APP : De l'écrivain que vous êtes, qu'est-ce qui a fait que vous soyez passé derrière la caméra ?
XM : Il y a des histoires qui ne se racontent que dans les livres et d'autres qu'on a envie de montrer au cinéma. Je voulais qu'il y ait des témoins oculaires sur l'errance de mon héroïne qui cherche sa place dans l'univers productif, plus amplement, dans la vie. Celui d'un être qui s'accroche désespérément à sa bouée de sauvetage, autant qu'à ses mensonges. J'ai voulu rendre visibles Elsa et Mattieu, des êtres en rupture de ban, malmenés par la vie, laissés sur le bord de la route, navigant malgré eux, entre "imprévisibilité" et "existence quotidienne".
APP : Pourquoi votre choix Julie Gayer/Denis Podalydès ?
XM : Julie est une actrice qui, en quelques années de carrière, a su faire vivre ses personnages avec une maestria manifeste, toujours avec cette suprême élégance. Et parce qu'elle a été l'interprète de mon court métrage "S'éloigner du rivage" dont "Huit fois debout" est son développement. Denis m'a chaudement été recommandé par Julie qui avait apprécié sa mise en scène de "Cyrano" à la Comédie Française. Nous étions convaincus qu'il pouvait jouer ce paumé réjoui et cérébral. J'ai cassé son image, le montrant avec une barbe de plusieurs jours. Il est véridique, touchant et brillant. J'appréciais son côté songe-creux et candide. Il représente une belle réussite d'acteur. Et tous deux ont su dépeindre ce qu'était l'angoisse d'une perte d'emploi, d'un logement, voulant sauver à tout prix les apparences, malgré la honte en eux. De constater jusqu'à quel point il faut se désavouer, mentir pour entrer dans la vie active.
APP : Doit-on considérer vos héros comme des loosers, des bras cassés ?
XM : J'aime les loosers, il y a en eux des choses qui m'interpellent. Ce film perçoit et ressent le mal-être de ces victimes de la société qui évoluent dans un environnement défavorable et malaisé, essayant d'avoir coûte que coûte, la tête hors de l'eau. Quelque part, ce sont des gagnants sur la vie, parce qu'ils ont adopté l'adage "Sept fois à terre... huit fois debout". C'est aussi une histoire d'amour emplie d'émotion, sans cesse jugulée, parce qu'ELLE et LUI ne sont pas disponibles pour la vivre, mais trouveront la force de revenir.
APP : Alors Julie, quel genre de réalisateur est Xabi Molia dont c'est la 2e collaboration commune ?
JG : Celle d'une belle génération de réalisateurs de cinéma. Je voulais connaître encore plus son univers de cinéaste. Son scénario est d'une évidente fantaisie douce amère. Notre première aventure fut trop belle, alors j'ai voulu poursuivre à fond la deuxième. Aussi parce qu'il a un regard nouveau sur notre monde actuel. Xabi est unique ! (rires).
APP : Elsa est une paumée, en rupture de ban, le cœur en bandoulière et les rapports mère/fils en dents de scie. En quelques mots, comment peut-on la caractériser ?
JG : Une femme en équilibre au-dessus d'un immense vide. Celle qui a honte, celle en absence d'emploi, toujours tournée vers les petits boulots. Celle qui flotte entre désarroi et fluctuation, qui encaisse sans cesse les gnons de la vie. C'est aussi une adorable menteuse qui fabule gauchement. Elle est touchante humainement. C'est une Buster Keaton au féminin.
APP : Vous-même avez connu ce genre de situation ...
JG : Hélas, comme beaucoup d'artistes, quels qu'ils soient, des petits boulots qui empiètent sur notre art. Pour éviter les galères, c'est le système D. Grâce à eux, j'ai pu payer mes cours de comédie et manger à ma faim (rires). J'ai aussi eu la chance d'être bien entourée, et j'imagine l'enfer pour celui sans aide, sans soutien. Donc, il était essentiel pour moi de m'investir pour ce film. (ndlr:qu'elle a coproduit).
APP : Justement, peut-on dire que vous êtes une femme fragile, libérée ou humaniste ?
JG : Ajoutez un quatrième : féministe, mon Capitaine (rires).
XM prend la parole : Moi qui connais bien Julie, je dirais que cela dépend des moments...
APP : Si le cinéma ne vous avait pas ouvert les bras, seriez-vous devenue chanteuse, artiste de cirque ou conservateur de Musée ? (ndlr:elle a étudié l'Histoire de l'Art, suivi l'école du cirque et a pratiqué le chant).
JG : Aucun des trois.
XM : Ah bon ? Mais tu chantes dans mon film...
JG : Soit, mais j'aurais aimé être toubib pour "Médecins sans frontière".
APP : On dit que vous occupez une place honorable dans le cinéma français. Que répondez-vous à cela ?
JG : Ouuaahh ! Il est vrai que je peux me permettre une certaine liberté quant au choix des scénarios et que je peux passer d'une grande à une petite production, dès lors qu'un sujet me plaît. Mais j'ai aussi des doutes, je me remets toujours en question. Je ne suis jamais certaine, je cherche et je chercherai toujours (rires).
APP : On dit également que vous êtes une actrice effacée, très secrète sur votre vie privée. Paradoxal lorsqu'on fait un métier public ?
JG : C'est vrai que j'ai beaucoup de mal à parler de moi. Là, par exemple, ça me gêne beaucoup. (ndlr:ça n'y paraît pas. Vous semblez si détendue ou alors vous êtes une excellente comédienne !). Non, sincèrement, j'aime mieux parler des autres, de mes rencontres sur les tournages. Le plus beau compliment qu'on puisse me faire, c'est de dire que je suis différente d'un film à l'autre.
APP : Spontanément, quelle femme êtes-vous, en trois adjectifs ?
JG : (regard vers Xabi). Il persiste et signe ! (rires).C'est difficile comme ça, tout de go.
XM intervient : Ingénue, déterminée et libre.
JG lui sourit et reprend : A une certaine époque je disais maladroite, dyslexique et gauchère (éclat de rire).
APP : Y a-t-il eu un rôle que vous avez regretté après l'avoir refusé ?
JG : Grand Dieu, je n'aime pas le verbe "regretter". Par contre, je refuse les films qui ne font pas la part belle aux femmes, c'est mon côté féministe. Comme ces scénarios dans lesquels les femmes belles sont connes ou les femmes intelligentes sont moches. Sûrement écrits par des abrutis ou des tarés ! Mes réalisateurs : Jacques Audiard et Michel Hazanavicius.
APP : Après "Les Rois Maudits", l'aventure télévisuelle vous retente-t-elle ?
JG : Oh oui. D'ailleurs j'ai récidivé avec le téléfilm de Philippe Le Gay "Boris Vian", "Clandestins" d'Olivier Langlois, "Famille décomposée" de Claude d'Anna. J'ai toujours en mémoire la belle expérience des "rois maudits" de Josée Dayan.
APP : Ma dernière question, qu'évoque pour vous le Pays Basque ?
XM : Ah mon beau Pays Basque de mes premières années d'enfance et d'ado. Je vais y revenir pour tourner mon deuxième film qui est en fin d'écriture. Il se situera en partie dans les montagnes d'Irubelakaskoa, en Navarre, celles qu'on appelle "les trois pics noirs" ou "les pics aux corbeaux". Ce sont de merveilleux endroits et des randonnées que j'ai connu. Hélas, des paysages qu'on voit très peu dans le cinéma français. J'aimerais également filmer le port industriel de Bayonne.
JG : C'est beau. La première fois que j'ai découvert Biarritz, c'est grâce à Patrice Leconte pour lequel j'ai tourné une pub, juchée sur un vélo, longeant le littoral. Pour l'occasion, je résidais à l'Hôtel du Palais et en ouvrant ma fenêtre, j'ai vu l'immense océan. J'étais bouleversée de voir une mer si belle. Mes origines bretonnes ont fait surface ! (sourire).
Article paru dans 'la semaine du Pays Basque" du 2 au 9 avril 2010.